Haïti : témoignage d’un éternel chômeur
J’ai passé plus de 14 ans à l’école. J’ai trimé, après bien de péripéties à l’examen officiel : bac 1, recalé, bac 2 et bac permanent. Enfin j’ai mes diplômes de fin d’études classiques. Après cela, que faire ? Il n’est pas facile d’intégrer l’université d’Etat. Un concours de plus de 3 000 postulants pour 150 ou 200 places. Et les universités privées sont trop chères. Je ne dois même pas y penser, faute de moyens économiques. A ma grande surprise, mon oncle qui est aux Etats-Unis pense enfin à moi. Il voudrait m’assurer 4 ans d’études dans une université privée. Me voici de nouveau ressuscité.
Diplôme en poche, je me lance sur le marché du travail. Je suis confiant. Mais, j’ignorais la réalité de ce pays. J’ai déposé plusieurs CV dans différentes institutions. Certaines m’ont appelé pour un entretien. Mais, je n’ai pas été retenu. Motifs : » Monsieur, vous n’avez pas d’expérience, vous n’êtes pas qualifié pour ce poste « . A chaque fois, c’est toujours la même histoire. Ne suis-je pas assez grand pour avoir un job ? Et quand je serai grand, ils vont me dire : » Tu n’as plus de force pour un tel boulot » . Et les années passent. Trouver du travail, c’est un calvaire dans ce pays. C’est le favoritisme qui permet d’accéder à un emploi. C’est une affaire de famille.
Au moment de la présidentielle, j’ai cru à un changement. Les candidats, au moment de toutes les campagnes électorales favorisent l’éducation, l’emploi… Hélas, ils n’ont pas tenu leurs promesses. C’est vrai : l’homme en dehors du pouvoir n’est pas celui au pouvoir. Tous se remplissent leurs poches et s’en vont avec toutes les richesses du pays. Le pire, ils vendent le pays à des puissances impérialistes pour des intérêts mesquins. Plus de patriotisme. Toute ma famille va bien, si le peuple crève, ça ne me regarde pas. Ainsi donc, c’est le développement du sous-développement.
Abandon des parents
Je suis assez grand. Même plus de 33 ans, toujours sur l’autorité de mes parents. Ils ne peuvent plus me voir dans cette maison. Ils sont déçus. Ils ont investi toutes leurs richesses vainement. Ils sont avancés en âge et ils n’ont plus la même force. Frustrés de me voir dormir, manger, et dormir encore une fois. Un emploi du temps dégoûtant. Un jour, ils m’ont dit : « Nous ne pouvons plus te supporter dans cette maison comme ça. Tu dois trouver une femme. A ton âge, nous étions déjà mariés et avions des enfants et notre propre indépendance. Toi, t’es un bon à rien. Tu dois dégager de cette maison. Tu dois faire ta propre vie. Sors de ta coquille. » A mon avis, ils ont raison, mais que c’est dur d’entendre tout ça surtout que je n’ai nulle part où aller.
Que suis-je devenu ?
Mes rêves sont détruits. Je ne sais pas à quel saint me vouer. J’ai une nouvelle perception de moi-même. Je suis frustré, stressé et angoissé. Je suis devenu jaloux quand j’ai vu mes copains de classe qui souriaient et que tout allait bien pour eux. Dès fois, je me cache. J’ai honte de moi-même. Chaque jour, je suis en lutte avec des idées destructrices et suicidaires. Je ne sais pas si je vais tenir pendant longtemps. Je veux à tout prix quitter ce pays. Je rêve d’un meilleur avenir. Peut-être qu’ailleurs, je ne sais où, les conditions seront meilleures.
Qui n’a pas envie de réaliser ses rêves ? d’avoir les moyens de vivre aisément et d’aider les gens de son entourage. Je veux voir le sourire sur mes lèvres quand je recevrais mon premier chèque. Je veux réaliser mes projets. Je veux être libre, autonome et heureux.
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